25/01/2013
pourquoi je n'aime pas Renoir, ni le film
Quand Jean Rustin dit que pour peindre avec tendresse il prend un pinceau tout doux, j'y crois. Je crois à sa tendresse pour les visages humains qui, dans ses toiles, nous regardent, et ne nous demandent rien. Je crois à sa bonté, à son humilité de peintre, à la générosité d'une oeuvre sans facilité, arrivée au dépouillement, au dénuement, à la simplicité et dont la contemplation nous enrichit.
C'est le parcours abouti d'un artiste qui n'a cessé de travailler toute sa vie.
Rustin est un peintre qui regarde l'autre sans prédation. Et le reconnaît. Cet "autre" c'est lui même, c'est nous aussi, c'est l'humain sans travestissement et sans parade. Pas forcément celui qu'on a envie de voir dans le miroir.
En allant sans conviction voir le film sur Renoir, avec le grand Michel Bouquet, capable de donner corps à n'importe qui, j'espèrais percevoir un peu de ce souffle qui tient en éveil, jusqu'à la mort, celui qui peint, comme si le pinceau faisait office de perfusion vitale, comme si toute la vie (fragile) qui restait ne tenait qu'à ce mouvement minuscule et dérisoire du poignet, apportant des couleurs sur une toile, jouant avec une touche de lumière, avec l'ocre des chairs, et la rondeur des formes...
Si l'acteur garde une intensité qui lui est propre et sauve le peu qu'il y a à sauver, car un film ne se bâtit pas sur le seul talent d'un acteur, il ne peut faire de Renoir autre chose que cet amateur de flancs arrondis et de seins offerts, de peaux de jeunes filles, cet obsédé du plaisir de vivre (tandis que la guerre tue ses enfants) à qui maintenant tout échappe. Il ne peut plus se lever, il souffre, il ne peut plus coucher avec ses modèles mais il arrive encore à les peindre, et seul le pinceau attaché à ses doigts déformés est encore capable de toucher virtuellement avec délices les chairs fascinantes; la peinture chez Renoir est un prétexte; elle sert à faire croire au bonheur. Pourquoi pas? Mais on n'est pas obligé d'y trouver son compte.
Chez Rustin la peinture est vie, pas discours ou démonstration et ne fait pas de prosélytisme pour une quelconque vision de l'humaine condition; elle ne fait pas écran non plus. Rustin creuse l'humain à la recherche du disque dur. Il dérange forcément; la peinture est chez cet artiste non pas un baume mais un cheminement qui va à la rencontre de l'inconnu; cette rencontre n'est pas toujours facile, ou apaisante, encore moins thérapeutique; c'est une aventure, un voyage, une épreuve; pas une croisière pour bourgeois gentilshommes.
Quignard dit magnifiquement qu'il n'y a pas de véritable joie sans mélancolie. Il me semble que Rustin est le plus profond mélancolique de la peinture contemporaine.
Renoir balaye la surface comme on fait des mèches chez le coiffeur. C'est joli, ça fait de l'effet, ça séduit. Le modèle est bien choisi, il donne ce qu'il peut donner: la beauté visible d'un corps lumineux, une sorte d'insouciance, d'impertinence aussi, par ce constant débordement de sève qui semble à chaque nouvelle peinture se moquer du temps qui passe; la constance et l'unité de l'oeuvre sont frappantes (je ne dis pas suspectes mais je le pense!); pour défier ce temps qui passe pourtant, Renoir a trouvé la solution: il change de modèle!
Le film aurait pu s'accrocher à ce sillon: le désespoir d'un homme au seuil de la mort, dont l'univers s'est rétréci, assez égoïste somme toute dans sa belle maison et son jardin merveilleux, soigné par une sorte de harem dévoué, et que la peinture, celle qu'il a toujours faite, tient en vie, tandis que le monde entre pour longtemps dans la grande guerre; d'ailleurs le retour du fils blessé (assez falôt) est tout aussi insipide et plat que les rares évocations de ce conflit qui bouleverse le monde entier, partout ailleurs, hors de ce petit paradis renoirien avec vue sur la mer.
Mais comme la peinture de Renoir, le film reste en surface, distribue quelques beaux effets, se sert de l'image pour combler le vide, mais il n'incarne pas; on attend qu'il commence tout le long, en réalité, il n'a fait que planter le décor; ce film est un décor.
Impitoyable, la critique des cahiers du cinéma:"Moi, il me faut du vivant", martèle Auguste... Nous aussi, pourrait-on rétorquer devant cette débauche inutile de paysages provençaux et de peaux laiteuses." J'y souscris!!
La différence entre Rustin et Renoir peut se résumer ainsi: jamais la peinture de Rustin ne se retrouvera sur les boites de chocolat.
14:09 Publié dans actualités et infos arts | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : renoir, rustin, quignard, peinture, boite de chocolat